Quels sont les droits du conducteur victime ?
Sur le principe de la responsabilité civile, l’article 1240 du code civil déclare :
« Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »
La loi du 5 juillet 1985, dite loi Badinter déclare dans son article 1 :
« Les dispositions du présent chapitre s’appliquent, même lorsqu’elles sont transportées en vertu d’un contrat, aux victimes d’un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur…. »
Elle déclare en outre que :
« Les victimes, y compris les conducteurs, ne peuvent se voir opposer la force majeure ou le fait d’un tiers par le conducteur ou le gardien d’un véhicule mentionné à l’article 1er. » (Article 2)
« La faute commise par le conducteur du véhicule terrestre à moteur a pour effet de limiter ou d’exclure l’indemnisation des dommages qu’il a subis. » (Article 4)
Cette loi a voulu rendre la procédure d’indemnisation des victimes moins lourdes et moins longues.
Dans son application bien des questions restaient toutefois soulevées, par exemple en ce qui concerne le lien de la causalité de la faute de la victime et de son dommage. Beaucoup de juridictions retenaient purement et simplement la faute de comportement de cette victime.
Cette jurisprudence était soutenue par un courant doctrinal qui retenait l’idée de déchéance du droit à indemnisation de la victime dès lors qu’elle commettait un faute de comportement, sans rechercher le lien de causalité entre cette faute et le dommage réalisé (H. GROUTEL, Faute du conducteur victime, RCA 1997.chron.22 ;D.2003.859, note sous Civ.2e, 4 juill. 2002)
La faute de comportement n’était donc pas distinguée de celle qui a eu une incidence dans la réalisation du dommage. Ces fautes pouvaient être :
-excès de vitesse : Civ.2e, 8 mars 1989, RTD civ.1989.568
-absence de bouclage de la ceinture de sécurité : Civ.2e, 5 oct.1994, RTD civ.1995.385
-engagement sur une autoroute alors que son accès est interdit au tricycle à moteur : Civ.2e, 27 janv.2000, Bull. civ. II, n°16, sans que soit rapporté tout éventuel lien de causalité du dommage.
Progressivement, la Cour de cassation a été conduite à retenir l’incidence de cette faute sur le droit à réparation, sans pour cela que son caractère causal ne soit établi :
-conduite avec un taux d’alcoolémie excessif : Civ.2e,4 juill.2002, RTD civ.2002. 829
-conduite sous l’empire de stupéfiants : Civ.2e, 13 oct.2005, JCP 2006.II.10004, note G. KESSLER.
Dans ces conditions, dès lors que la victime avait commis une faute dans son comportement, elle perdait son droit à indemnisation, même si aucun lien n’existait entre la faute retenue et le dommage, même si la preuve du lien n’était pas rapportée.
La Cour de Cassation a dû trancher cette difficulté en Assemblée Plénière. Deux arrêts de principes ont été rendus par elle le 6 avril 2007- nos 05-81.350 et 05-15.950 (JCP G 2007, II, 10078, note P. Jourdain).
Elle retient le principe : « La faute du conducteur victime doit être appréciée en faisant abstraction du comportement de l’autre conducteur du véhicule impliqué dans l’accident. »
« La cour d’appel ne pouvait subordonner l’exclusion ou la limitation de responsabilité du conducteur victime à la condition que sa faute ait contribué à la réalisation de l’accident ».
La discussion porte essentiellement sur la rédaction de l’article 4 de ladite loi. Dans quelles conditions le conducteur victime voit une limitation ou une exclusion du droit à indemnisation ?
Aujourd’hui il est acquis que :
-toute victime d’un accident impliquant un véhicule a droit à indemnisation
-la faute du conducteur victime ne peut être retenue à son encontre que si le lien de causalité existe entre cette faute et son dommage (C. Cass civ 2 22 novembre 2012 N° de pourvoi: 11-25489)
-la faute n’a pas être retenue comme la cause exclusive, il suffit qu’elle ait contribué.
-la faute du conducteur victime peut exclure ou limiter son indemnisation, sans qu’il soit utile de rechercher si elle est une faute inexcusable (C.Cass. ch. mixte 28 3 1997 : « Attendu que lorsque plusieurs véhicules sont impliqués dans un accident de la circulation, chaque conducteur a droit à l’indemnisation des dommages qu’il a subis, directement ou par ricochet, sauf s’il a commis une faute ayant contribué à la réalisation de son préjudice ; qu’il appartient alors au juge d’apprécier souverainement si cette faute a pour effet de limiter l’indemnisation ou de l’exclure)
-la faute de la victime doit être appréciée abstraction faite de celle de l’autre véhicule impliqué (C. Cass crim. 16 février 2016 N° de pourvoi: 15-80705)
-les juges de fond ont pouvoir souverains pour apprécier la faute de l’autre conducteur, mais doivent motiver leur décision (C.Cass. As.Plénière n° 554 du 6 avril 2007 n°05-15.950).
Dans un cas d’espèce jugé par le Tribunal de Grande Instance de Nîmes, le 10 janvier 2014, il a été relevé que selon les dispositions de l’article 4 que la faute commise par le conducteur du véhicule terrestre à moteur a pour effet de limiter ou d’exclure l’indemnisation des dommages qu’il a subis. Dans un premier temps, ce tribunal a analysé la faute commise par le conducteur victime dans la réalisation de son dommage, son lien de causalité et a relevé qu’aucune preuve n’était rapportée par ce même conducteur victime à l’encontre de l’autre conducteur impliqué pouvant être à l’origine du dommage. Le tribunal a exclu son droit à indemnisation.